Se rétablir d’une encéphalite ou d’une lésion cérébrale vient d’emblée avec des hauts et des bas. Une journée on peut se sentir comme si quasi de retour à la normale, et le jour suivant, on pourrait passer la journée emmitouflé sous les couvertures. Notre cerveau doit sauter à travers tellement de cerceaux, ce n’est pas surprenant que l’on puisse expérimenter tant de fatigue. Notre cerveau doit maintenant faire tellement de détours pour aller du point A au point B, ça ne devrait pas être une surprise de voir notre temps de réaction si ralenti par moment. Les effets de ses deux simples conséquences peuvent avoir des répercussions énormes sur le psychisme d’un individu durant leur rétablissement. On commence à douter de soi, on ne se sent plus à la hauteur, on est trop lent, on n’a l’impression de constamment décevoir les gens alentour de nous, on a l’impression d’être incapable d’accomplir certaine des tâches les plus simples, on n’a l’impression de ne plus être en mesure de maintenir nos standards habituels…et on a l’impression d’échouer, tout le temps!
La sensation d’échouer est souvent difficile à digérer. Je suis certaine que vous pouvez vous remémorer un moment ou ce sentiment d’échec total s’est épris de vous. Ouais, je parie que ce n’est pas une émotion qui rappelle plein de bons souvenirs hein? La sensation d’avoir échoué vient avec beaucoup de tristesse, de critique par rapport à soi-même et elle peut aussi faire remonter à la surface pleins de questionnements.

Suivant le verdict d’encéphalite et de lésion cérébrale acquise, j’ai vite établit qu’il serait avisé d’avoir le support d’une psychologue pour m’aider à naviguer tous les changements qui sont survenus au niveau cognitif, mais aussi dans le petit train-train du quotidien. Je suis habituellement en mesure de faire la part des situations qui se présentent, de me motiver à aller de l’avant et de gérer mes émotions, mais la liste des changements me paraissais si longue…je savais que c’était une de ses batailles que je ne pourrais vaincre seule. C’est alors que je me suis mise à la recherche d’une psychologiste. Je cherchais qu’un avec de l’expérience au niveau de la gestion de la fatigue et de la gestion de troubles post-traumatiques. En parlant avec mon ergothérapeute et de mon intention de consulter, elle me fit une recommandation et le nom mentionné figurait sur ma liste alors le choix final ne fut pas trop difficile. Comme c’est souvent le cas, les gens qui viennent avec de bonnes recommandations sont souvent bien occupés, mais entre mes courriels, texto et le support de mon ergo, j’ai finalement réussi à rencontrer cette personne qui continue de jouer un rôle important dans la vie du « nouveau moi ».
J’adore ma psychologue. On s’entend vraiment super bien et avons plusieurs points en commun l’un d’eux étant que nous sommes les deux des expatriées. Malgré ces affinités, elle a dû travailler très fort pour découvrir et soulever plusieurs des mécanismes de protection dont je m’étais doté. Seize ou peut-être dix-sept mois après mon encéphalite, je me suis présentée à une séance avec ma psychologue. J’étais déjà bien fatiguée, émotionnelle, lente et mon allocution était des plus difficile avant même de m’assoir. Je lui serre la main, m’assois et fidèle à moi-même j’essaye du mieux que je peux de sauver les apparences. Comme de coutume, nous amorçons la séance en discutant de tout et de rien et après environ quinze minutes, elle attire mon attention sur un mot en particulier. Elle me signale que depuis mon arrivée j’ai utilisé le mot « échec » ou « échoué » à maintes reprises. Elle me demande alors pourquoi ce choix de mots. Ma réponse fit bien simple:
« Bien c’est parce que j’échoue tout le temps. J’échoue à demeurer patiente avec les enfants, j’échoue en ne parvenant plus à être la maman « l’fun » comme avant, j’échoue car je suis toujours trop fatiguée, j’échoue car je n’arrive plus à me rappeler ce que Greg m’a dit il y a à peine 5 minutes, j’échoue car je ne peux plus m’entraîner comme avant, j’échoue car je ne parviens plus à suivre le cours des évènements, j’échoue car je n’arrive plus à gérer aucune activités sociales, j’échoue car je n’arrive même plus à travailler à temps partiel, j’échoue car je ne peux plus m’exprimer clairement et normalement, j’échoue car j’ai besoin de chauffeur pour pouvoir me rendre ici et là, donnes moi un exemple et je te parie que j’échoue à cela aussi. »
Je ne sais plus qui était le plus surpris de nous deux. La boîte de Pandore avait implosé la laissant grande ouverte…tout comme les larmes qui coulaient à grand flot sur mes joues. Elle me tendit gentiment un mouchoir et me laissa le temps de songer à tout ce que je venais de dire. Une fois mes émotions sous contrôle, elle me signala que le mot échec est un mot dur et cruel surtout lorsqu’il est utilisé de cette façon envers soi-même. Utilisé de cette façon, il peut rapidement réduire à zéro notre banque d’énergie et amorcer le cycle de négativité. Elle me demanda alors si je croyais vraiment échouer de la sorte…et je répondis oui. À cette période de ma vie, c’était vraiment ce que je ressentais. Ce sentiment d’échec avait été gardé sous clef pendant des mois et des mois et ça faisait presque une année complète que j’ajoutais quotidiennement à cette liste d’échec. L’échec n’avait pas besoin d’être monumental pour apparaitre sur cette liste, si je ne pouvais pas accomplir quelque chose ou l’accomplir au même niveau qu’auparavant, c’était une preuve pour moi que j’aurais bien de la difficulté à avoir du succès à nouveau. Tous ces échecs, petits ou grands, faisaient signe de preuve que je n’étais pas rétablie.
Elle me demanda alors si j’étais en mesure de contrôler certains des évènements qui se traduisent en échec pour moi. Elle me rappela que mon cerveau ne fonctionne plus comme avant et que je dois dorénavant prendre en considération certains défis qui n’existaient pas pour moi auparavant. Ah, elle avait un point. Il serait peut-être justifié de me sentir redevable à mes standards habituels si mes capacités cognitives et physiques étaient les même qu’avant, mais je n’avais pas choisi que mon Weird Wonderful Brain se reconnecte d’une façon un peu déjantée. Je devais moi aussi évoluer avec cette nouvelle réalité. Pour soutenir davantage son point de vue, elle me demanda si je m’attendrais à voir une personne qui a perdu l’usage de ses jambes à gravir un escalier comme la plupart d’entre nous. Bien sûr que non! Ça serait irréaliste de s’attendre à voir une personne en chaise roulante se lever et monter les marches une à une comme tout le monde. Elle avait un autre point. La différence entre une personne vivant avec une lésion cérébrale et une personne qui a perdu l’usage de ses jambes est que l’une d’entre elle à un outil (dans ce cas-ci une chaise roulante) pour les assister avec les défis du quotidien qui sont propre à eux. D’un autre côté, une lésion cérébrale est une forme d’handicap qui est invisible. De l’extérieur, il n’y a pas de changement, la personne est la même physiquement, mais ça ne veut pas dire que certains ajustements n’ont pas lieu d’être. Ah, elle vise la cible une autre fois. Alors pourquoi mettre la barre ci haute? Bien en parti parce que les vieilles habitudes sont tenaces je crois. À la suite de l’encéphalite j’ai décidé d’approcher mon rétablissement de la même façon et j’ai établi de gros objectifs, mais peut-être que je me dois de réévaluer la situation? Suis-je juste envers moi-même de définir la notion de succès par rapport à ce que je puisse ou ne puisse pas accomplir plutôt que par rapport à la personne que je suis? Oh là là, mais elle vise dans le mille encore une fois. Se rétablir d’une lésion cérébrale requiert beaucoup de patience, de force de caractère et d’efforts…tous des attributs qui définissent la personne que je suis et des attributs dans lesquels j’ai investi une quantité énorme de temps et d’effort depuis l’encéphalite. De plus, en tant que personne vivant avec une lésion cérébrale, je sais d’emblée que je dois maintenant investir encore plus fort pour chaque petit succès. Peut-être qu’il est temps pour moi de réaliser que je ne suis pas moins digne de toutes ses réussites qui surviennent au quotidien malgré l’utilisation de nouveaux standards et systèmes de mesure.
Après avoir pris tous ces points en considération, j’ai pris la décision d’éviter d’utiliser les mots « échec » et « échouer ». J’ai reconnu le fait que ces mots sont bien puissants mais également extrêmement négatifs dans le contexte dans lequel je les utilisais. Lorsque que le sentiment d’échec allait m’envahir, ma psychologue m’a fortement encouragée à me poser la question suivante : « Quel genre de contrôle ai-je sur la situation présente? » Si mon Weird Wonderful Brain joue un rôle dans ma réponse, je devrai prendre le temps d’ajuster mes attentes en fonction des défis qui se présentent maintenant à moi. Elle m’a également encouragé à songer aux valeurs qui sont importantes pour moi et qui font de moi la personne que je suis. Ce sont ses valeurs qui importent et non pas le nombre d’élément que je réussi à cocher au quotidien sur ma liste de trucs à faire. Elle m’a aussi encouragée à m’entourer de personnes attentionnées qui sont prêtes à me supporter durant mon rétablissement…peu importe le temps que ce rétablissement prendra. Pour l’instant, leur perspective risque d’être beaucoup plus positive que la mienne et pourrait contribuer à changer la balance de pouvoir en regard de ma position échec versus réussite. J’ai songé à son raisonnement et réalisé qu’elle avait absolument raison. Malgré tous les hauts et les bas, les gens qui se soucient de moi mentionnent toujours ma force de caractère et mon désir de continuer d’aller de l’avant. Ils ne peuvent pas tous avoir tort…peut-être qu’il est temps que j’écoute et crois en leurs opinions.

Jusqu’à présent, cette séance a été la séance la plus bénéfique pour moi. Avec du recul, je suis heureuse d’y être arrivée fatiguée, vulnérable, d’avoir exposé au grand jour certains de mes mécanismes de protection et d’avoir utilisé le mot « échec » une fois de trop. Cela dit, je suis particulièrement heureuse du fait que ma psychologue m’aille alertée à la façon dont j’utilisais ces mots et m’aille aidée à ouvrir et vider cette boîte de Pandore pour ainsi faire place à des changements constructifs et positifs. En sortant de la clinique, je rappelle me sentir tellement plus légère…comme si un poids ÉNORME avait été enlevé de sur mes épaules. À mon retour à la maison, j’ai regardé la définition du mot « échec » sur internet qui se résume à ne pas réussir, rater, perdre, défaite, insuccès et manquer. Cela m’a fait réaliser encore davantage que les personnes qui vivent avec une forme de d’handicap n’échouent aucunement…en fait elles sont souvent les personnes les plus fortes et résilientes qui vous sera donné de rencontrer. Cela m’a motivé davantage à travailler fort pour éradiquer ces mots de mon vocabulaire.
Depuis cette séance avec ma psychologue, j’échoue davantage à utiliser les mots « échec » et « échouer » et le sentiment d’échouer se fait beaucoup moins dominant…j’ai gagné plusieurs batailles, mais de temps à autre, ces mots se faufilent encore dans mon Weird Wonderful Brain. Comme il en est le cas aujourd’hui, c’est dans ces moments que je me rappelle cette séance si importante avec ma psychologue. Je dois à nouveau revoir et ajuster mes attentes et prendre le temps d’être un peu plus aimable envers moi-même. Je n’aime pas toujours réviser mes attentes et ajuster mes objectifs, mais j’ai maintenant réalisé que c’est la réalité qui vient de pair avec le titre de survivant d’encéphalite. Je ne vais pas mentir, c’est une route qui est des plus tortueuses, mais on apprend également beaucoup à négocier ce genre de routes.
Avez-vous également expérimenté la sensation d’échec depuis votre lésion cérébrale? Si oui, comment avez-vous à la surmonter?
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